Edward O. Wilson et son diagnostic de l’humanité en un tweet

Cet article a été publié le 20 janvier 2022 dans El País.

Le 26 décembre, Edward O. Wilson, le biologiste, écrivain et naturaliste que l’on appelait le Darwin du XXIe siècle, est décédé. Ses travaux ont été essentiels pour comprendre comment l’évolution explique le comportement des animaux. Il a commencé par étudier les systèmes sociaux des fourmis pour finir par les appliquer à l’homme, avec des conclusions qui n’ont pas toujours plu aux deux côtés de l’échiquier politique, peu habitués à ce qu’on leur dise que la génétique joue un rôle dans notre comportement. Aujourd’hui, elle est plus que considérée comme allant de soi. Il a également contribué au développement de la théorie de la biodiversité, et au fait que tout le monde sait maintenant ce que ce terme signifie.  

Il ne s’est pas seulement concentré sur la biologie. Il était un humaniste, auteur du livre Consilience, qui tentait de rassembler les connaissances de différentes branches de la science, et aspirait à le faire également avec les sciences humaines.

À la fin d’une interview en 2009, il a posé le diagnostic le plus précis jamais réalisé sur l’humanité en moins de 140 caractères : « nous avons des émotions paléolithiques, des institutions médiévales et une technologie digne de Dieu. Et c’est terriblement dangereux. Cette phrase va loin. Voici une tentative d’explication.

Alors que tous nos efforts devraient être consacrés à la lutte contre le changement climatique, le nombre de risques créés par nous-mêmes et pouvant aboutir à des catastrophes technologiques s’est multiplié. Ils ne se sont pas encore produits, mais ils peuvent nous distraire de l’objectif sur lequel nous devrions nous concentrer : la décarbonisation de nos vies. Voyons comment les problèmes mentionnés par Wilson sont liés les uns aux autres, en commençant par quelques exemples (il pourrait y en avoir beaucoup d’autres) de technologies dotées de capacités divines.

L’intelligence artificielle, dangereuse en soi pour un usage général, devient terrifiante pour un usage militaire. Ce n’est pas une question d’avenir : il est déjà possible d’acheter des drones autonomes capables de décider quand et qui tuer. Ils ont été utilisés par la Turquie en Libye, avec une efficacité prouvée.

Une autre possibilité peu rassurante est celle de futures pandémies dues à des microbes synthétiques. Cela est possible depuis plusieurs années maintenant, lorsqu’un type d’expérience appelé « gain de fonction » a été tenté avec la grippe aviaire. Il a été démontré qu’une souche mortelle mais peu transmissible de la grippe aviaire pouvait être transformée en une souche hautement transmissible.

L’édition de gènes avec CRISPR ouvre la porte à deux dangers aux conséquences inconnues. La première est l’édition de gènes humains pour les caractères héréditaires. C’est-à-dire des modifications apportées au génome qui seront transmises à la descendance, contrairement aux traitements génétiques tels que celui de la thalassémie. En ce qui concerne l’édition de gènes humains héréditaires, elle a déjà été réalisée en Chine, avec la naissance de jumelles en 2018, dans un cas qui a suscité l’indignation de la communauté scientifique pour avoir contourné toutes les normes éthiques. Le deuxième danger est la suppression d’espèces par l’introduction de gènes qui bloquent la reproduction, ce qui peut être bénéfique si l’on élimine des maladies comme la malaria, transmise par les moustiques, mais dont on ignore les conséquences écologiques.

D’autres technologies peuvent affecter les moyens de subsistance des populations des pays pauvres, comme le café synthétique, dont ladoption pourrait priver de travail 125 millions de personnes qui cultivent le café, notamment dans les pays pauvres.

Il en va de même pour la viande cultivée en laboratoire, qui pourrait avoir des effets bénéfiques sur le changement climatique en réduisant le nombre de ruminants émettant du méthane, mais qui priverait de revenus des dizaines de millions de familles qui vivent de l’élevage.

Un autre cas de progrès technologique peut être encore plus grave. L’automatisation industrielle peut priver les pays moins avancés de la possibilité de sortir du secteur primaire (agriculture, pêche, mines), qui est moins rémunérateur et plus instable en termes de prix que les secteurs industriel ou des services. Dans cet article, Jeffrey Sachs explique comment les gains de productivité liés à la robotique peuvent nuire aux exportations des pays les moins avancés techniquement.

Mais la plus dangereuse de ces technologies est celle qui se rapporte aux émotions paléolithiques que Wilson a mentionnées comme étant la deuxième branche du problème.

L’extrême droite a compris mieux que la gauche comment utiliser les réseaux sociaux pour manipuler les émotions en faisant ressortir le pire de l’être humain. L’intelligence artificielle, qui contrôle les algorithmes qui décident de ce que nous voyons sur Facebook ou Twitter, amplifie cette domination. Si l’on ajoute à cela les Deep fakes, des vidéos montées qui peuvent montrer des personnes célèbres disant tout ce que le manipulateur du moment veut leur faire dire, le panorama est inquiétant. Au moment où il serait le plus nécessaire que nous comprenions les risques auxquels nous sommes confrontés, et que nous commencions à y remédier, le nombre d’antivaccinationnistes, de magouilleurs et de négationnistes de tous bords, qui se nourrissent de whatsapp pour augmenter le poids politique de la bêtise, ne cesse de croître.

Le troisième problème de Wilson concerne l’incapacité de faire face à ces risques avec les institutions actuelles. Tous les risques technologiques mentionnés devraient être contrôlés par des organisations agiles et efficaces, capables de mettre d’accord la communauté scientifique qui utilise ces technologies avec les institutions multilatérales qui devraient pouvoir freiner les abus ou l’irresponsabilité. C’est difficile, car la hâte de faire la une des journaux scientifiques, d’obtenir les brevets les plus rentables ou d’avoir une longueur d’avance dans la création de nouvelles start-up ou d’armes mortelles n’incite pas à la prudence.

En résumé, nous avons une technologie qui peut faire des merveilles, mais qui, si elle est mal utilisée, aura de graves effets secondaires, nous avons une partie de la population attisée par WhatsApp par l’extrême droite – et parfois par l’extrême gauche – prête à s’opposer aux solutions nécessaires pour faire face à des problèmes allant de la catastrophe climatique à la pandémie, et enfin nous avons des institutions qui ne sont pas à la hauteur des défis qu’elles doivent relever. Que rien ne nous arrive.

 

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